La troupe qui fait de l’ombre au Cirque du Soleil
Ils débarquent du Canada, ont l’air de routards en transit, et sont pourtant les patrons de choc d’une des plus fameuses compagnies de cirque du monde. En tournée en France, installés au parc de La Villette, à Paris, avec deux spectacles,La Vie et Psy, Les 7 doigts de la main, « The Seven Fingers » en anglais, possèdent la force d’un collectif dirigé par sept boss qui s’entendent comme larrons en foire. Leur rencontre a tout d’une « success story ».
Des potes, toute une bande, ayant beaucoup bourlingué entre chapiteaux et cabarets, décident de se prendre en main, se filent rendez-vous un beau jour du mois de février 2002 à San Francisco et se retrouvent à sept autour d’une table. Une journée – bien arrosée – de discussions plus tard, la toute nouvelle compagnie se baptise « Les 7 doigts de la main » et jette les bases de son premier spectacle,Loft.
Neuf ans après, les comptes sont bons : la petite entreprise fait travailler une centaine d’artistes, a mis en scène à tour de rôle six spectacles, dont cinq tournent actuellement dans le monde entier. Programmé à la Cigale en 2008, Traces, juvénile, rock et direct au point de faire crier d’enthousiasme le public, fait désormais l’affiche sur Broadway, signe indiscutable de la réussite à l’américaine de ces Québécois. Le plus qui fait la différence : ils ont inventé un style, une écriture acrobatique et nerveuse de la réalité. Entre cirque, show musical, théâtre et cabaret, Les 7 doigts de la main font du quotidien matière à jonglerie, rire et virtuosité. Même s’ils sont aujourd’hui bien plus nombreux, sur scène comme en coulisses, le noyau central reste articulé autour de cette main à sept doigts. Portraits un à un de ses membres pour tenter d’en mesurer l’essence… Sept doigts ? Mais, au fond, lequel êtes-vous ?
Sébastien Soldevila, porteur et acrobate
« Je suis le pouce, parce que je suis le plus gros, le plus évolué et le plus costaud puisque je porte et supporte la troupe », commente en blaguant Sébastien Soldevila, 38 ans, seul Français de la troupe. Porteur et acrobate, expert en main à main, cet ancien gymnaste de haut niveau, ayant appartenu à l’équipe de France junior entre 20 et 24 ans, s’est musclé dans toutes les disciplines (trampoline, ski acrobatique, tumbling).
Etudiant en biochimie, il est embauché par le Cirque du Soleil pour Saltimbanco : il a 25 ans, débarque à Montréal, se fait dévergonder par ses potes et rencontre sa femme Shana Carroll, trapéziste et chorégraphe. « Lorsque Samuel Tétreault a lancé l’idée de se rassembler pour bosser ensemble, on est juste tombés au bon moment, explique-t-il. Il y a beaucoup d’artistes de cirque au Québec à cause du Cirque du Soleil, mais très peu de compagnies. Les 7 doigts de la main ont profité d’une petite subvention du gouvernement et d’un public enfin curieux de voir autre chose que le Cirque du Soleil. » Dans La Vie, Sébastien Soldevila joue un Monsieur Loyal cru et leste, drôle aussi, impeccablement doué pour le diabolo. « Le cirque, c’est comme la vie, quand y en a plus, c’est fini. »
Isabelle Chassé, trapéziste et acrobate
Elle brandit son auriculaire comme un signe. « C’est le plus petit, comme moi, et ça ne fait pas grand-chose mais c’est indispensable », glisse Isabelle Chassé, 35 ans, trapéziste et acrobate. Dès l’âge de 5 ans, elle rêve de voler et fait tout pourconcrétiser son fantasme. Elle a 11 ans lorsqu’elle devient apprentie contorsionniste à l’Ecole nationale de cirque, à Montréal. Dans la foulée, elle décroche un contrat au Cirque du Soleil pour un numéro interprété par quatre jeunes filles contorsionnistes. Elle a 13 ans, y restera jusqu’à 24 ans, accrochant des médailles et des prix plein son justaucorps.
« Au bout de tout ce temps passé dans la même troupe, j’avais envie d’autre chose, confie-t-elle. Lors de notre réunion à San Francisco, les questions de fond ressemblaient à « De quoi a-t-on encore envie dans la vie ? » et « Qu’est-ce qui nous inspire ? ». Mais aussi « Est-ce qu’on allait s’entendre pour de bon ? ». » Dans Loft, elle se contorsionnait dans une baignoire remplie d’eau ; pour La Vie, elle se décarcasse dans une camisole de force. « Le style des 7 doigts n’est que la somme de ses parties. »
Patrick Léonard, jongleur et clown
A tous les doigts des deux mains, Patrick Léonard, 42 ans, préfère finalement le revers de la main droite, surtout dans La Vie. « L’un de mes numéros de prédilection est de jongler avec des bouteilles sur le revers de mes mains », commente-t-il avec un accent québécois comme on l’imagine.
Ce jongleur, acrobate, clown, par ailleurs quatre fois champion canadien en patin à roulettes artistique, a 24 ans lorsqu’il débarque à l’Ecole nationale de cirque de Montréal après des études de chimie. Il rencontre Gypsy Snider, devenue sa femme, écume les cabarets, berlinois en particulier. « On avait tous envie de quelque chose de plus humain, sans gros costumes, ni énormes maquillages, se souvient-il. Le désir aussi de revenir à la réalité. Comme on vivait en colocation, on s’est retrouvés à mettre en scène Loft comme à la maison ou presque. » Dans La Vie, il se livre à un épatant numéro de strip-tease en passant sous un trapèze qui sonne comme un portique d’aéroport. « Le cirque, c’est le risque, la peur la plus pure, qu’il faut dépasser. »
Samuel Tétreault, équilibriste
Québécois de Montréal, Samuel Tétreault, 37 ans, est « le majeur », parce qu’il est « le plus grand, celui qui a rassemblé les autres au début de la compagnie et veille encore à préserver l’harmonie lorsque les doigts se tiraillent un peu ! ».
Fils d’un galeriste d’art contemporain, il vit dans une maison « extension des expositions de la galerie », se passionne pour le hockey sur glace, puis pour le cirque. Il a 14 ans. Après avoir appris à rouler en monocycle, jongler avec trois balles, faire des acrobaties, du trampoline, il opte pour l’équilibre sur les mains.
Etudiant pendant sept ans à l’Ecole nationale de cirque de Montréal, puis artiste du Cirque du Soleil, il rêve d’autre chose, croise Isabelle et Shana, téléphone à quelques amis. « J’ai contacté une dizaine de personnes au total pour leur donnerrendez-vous très vite, explique-t-il. La date ultime pour avoir une subvention était fin février 2002. Le temps pressait. » Ce leader, également sur le plateau de La Vie, détient la seconde place du championnat du monde de course sur un bras au Japon ! « On est tous humains, on va tous mourir un jour… Alors, en attendant, apprenons à mieux nous connaître et à mieux vivre ensemble. »
Nassib El-Husseini, directeur
Directeur général de la compagnie, Nassib El-Husseini, 49 ans, a remplacé le « doigt fondateur », Faon Shane, désireuse d’autres aventures. Il est aussi, avec l’accord des six autres, le pouce, parce qu’il « donne souvent un coup de pouce ». Il revendique de « transformer les faiblesses en force, selon les principes du judo » et recommande « d’aligner chaque matin le coeur avec la tête ».
Au sein des 7 doigts de la main, il se bat pour que « le processus de travail créatif reste agréable, pertinent, enrichissant, et que le travail de la compagnie continue d’assurer un toit à tous ». Plus largement, il monte régulièrement au créneau pour « la reconnaissance du cirque contemporain par les différents conseils des arts à l’échelle mondiale ». Son mot d’ordre : « Plein feu sur la beauté du monde là où la laideur est clairement incontournable. »
Gypsy Snider, chorégraphe
Américaine de San Francisco, Gypsy Snider, 42 ans, est « la paume de la main droite », comme Patrick Léonard, avec lequel elle a eu deux filles, est « le revers ». Née dans une famille de cirque liée au Pickle Family Circus, elle prend d’assaut la piste dès l’âge de 4 ans. Jeune étudiante à l’école de théâtre Dimitri, en Suisse, elle croise la route du Cirque du Soleil, celle de Patrick, et revient dans sa ville natale en 2001, après avoir tracé la route pendant douze ans.
Codirectrice et chorégraphe de Loft et de Traces, elle aime évoquer la communauté formée par Les 7 doigts de la main. « Nous sommes une compagnie de performers de cirque, même si nous expérimentons d’autres formes spectaculaires. »Pragmatique, elle connaît la règle du jeu de la survie artistique lorsque la subvention de l’Etat est riquiqui : travailler, travailler encore, travailler toujours, pouréquilibrer la balance économique. « Les 7 doigts, c’est d’abord l’humain, la créativité, et l’originalité de chaque individu. »
Shana Carroll, trapéziste
Des sept doigts de la main, Shana Carroll, 41 ans, en choisit au moins… deux. Elle est l’index de la main droite lorsqu’elle crée les spectacles « pour mieux pointer les choses en gesticulant ». Puis l’annulaire de la main gauche lorsqu’elle travaille au bureau de la troupe.
Originaire de Berkeley (Californie), elle délaisse le théâtre pour le cirque à 18 ans, choisit le trapèze et tourne pendant vingt ans dans différentes compagnies.
Copine depuis 1985 de Gypsy Snider, son premier coach – son père a écrit un livre sur le Pickle Family Circus -, elle rencontre son futur mari, Sébastien Soldevila, avec lequel elle a eu une fille, ainsi qu’Isabelle Chassé, au Cirque du Soleil. « La première règle entre nous est peut-être de ne pas en avoir, glisse-t-elle. Nous essayons de réaliser ce que nous imaginons être juste et sensible. C’est une question d’instinct et de bon sens. » Chorégraphe repérée, Shana Carroll a mis en scène un numéro pour trente trapézistes lors du 400e anniversaire de la ville de Québec. « Le cirque est la forme la plus adéquate pour raconter la vie. »
La Vie. Cabaret sauvage. Jusqu’au 20 novembre, 20 h 30. Dimanche, à 16 heures. De 22 € à 30 €.
Psy. Grande Halle de La Villette. Du 23 novembre au 30 décembre, à 20 h 30. Dimanche, à 16 heures. De 22€ à 32 €. Billet couplé pour les deux spectacles : 45 €. Tél. : 01-40-03-75-75. Villette.com.
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Vous avez été parfaits! Parfaits! Parfaits! Bravo, j’espère vous revoir bientôt en France, avec vos autres créations!